L’exil de Kurt Weill à Paris, 1933-35 : Une rencontre pesante entre le compositeur et le scandaleux malfaiteur Fantômas
"Est-ce que je crois aux fantômes ? Non, mais j’en ai peur." Marie du Deffand
« Au cours d’une nuit de tempête agitée de mars 1933, Kurt Weill, le célèbre compositeur allemand, arrive à Paris. Il vient de Berlin dans la Mercedes noire du scénographe Caspar Neher. En arrivant à l’hôtel Jacob de Saint Germain-des-Prés, hormis ses deux lourdes valises, il ne possède que les ébauches d’une commande pour Radio Paris : une ballade sur Fantômas, le malfaiteur sans scrupules … Mais où sont restées depuis ces partitions ? A la suite de quelles douteuses machinations ont-elles disparues ? Il semble que personne ne connaissait cette œuvre... jusqu’à maintenant ! »
Kurt Weill fuit l’Allemagne nazie pour Paris en 1933 pour ce qui ne sera qu’une étape transitoire de deux ans dans son émigration vers l’Amérique. Jusque-là son esthétique décalée et cassante avait été profondément marquée par sa collaboration avec Bertolt Brecht. En témoigne l’Opéra de quat’sous qu’ils composèrent ensemble à Berlin en 1928. C’est à Paris que le style de Weill commença à changer et à se teinter des paillettes de Broadway. C’est cela même qui lui permettra, par la suite, d’acquérir une notoriété mondiale.
Mais que s’est-il donc passé pendant cette transition parisienne ? Quelles influences ont alors opéré sur lui ? La mutation de son esthétique fut-elle due à son exil, au fait d’être en fuite ? De travailler en utilisant une nouvelle langue ? Quel fut l’effet de l’antisémitisme de plus en plus virulent du monde parisien de la musique sur son œuvre ? C’est à Paris, en tant que réfugié, que Weill se découvrira une aptitude particulière à remanier les codes esthétiques en vogue. Il saura s’adapter aux conventions musicales et esthétiques en place et puis les reformulera de manière autonome. A-t-il progressivement abandonné sa position d’artiste politique ou cette dernière a-t-elle seulement subi une mutation ? C’est à ce titre que Brecht, plus tard, a condamné son ancien compagnon. À raison ? La question est posée.
Dans la performance radiophonique en direct KURT WEILL CHASSE FANTÔMAS, l’auteur-compositeur Oliver Augst, la chanteuse et artiste Charlotte Simon et le musicien Alexandre Bellenger retracent l’exil parisien de Kurt Weill. Ils entendent faire résonner les chansons oubliées de Weill, d’Au fond de la Seine à J’attends un navire (qui deviendra quelques années plus tard un hymne secret de la Résistance). Ils font ainsi resurgir un passage obscur de l’œuvre de Weill présenté sous la forme d’une « interprétation composée », elle-même conçue comme une déclaration d’amour à l’original. KURT WEILL CHASSE FANTÔMAS est basé autour d’un développement dialectique parvenant jusqu’à l’époque actuelle : les distances historiques sont ainsi simultanément abolies et définies, les contours aiguisés et voilés, les formes déconstruites et recomposées.
Ce qui intéresse Oliver Augst avant tout ce sont les angles morts. Ils ouvrent un vaste champ qui suggère suppositions et spéculations ludiques. La Grande Complainte de Fantômas – chanson réalisée par Weill en 1933 pour une pièce radiophonique d’après le poème de Robert Desnos – sert de fil conducteur à la pièce. Weill, à la suite de Mackie Messer, se retrouva paré d’une réputation d’expert en scélérats. Fantômas, « l’empereur du crime », sinistre héros des romans populaires de Pierre Souvestre et Marcel Allain, acquit un statut quasiment culte parmi les artistes et intellectuels de l’époque, à commencer par les surréalistes. Son vagabondage sans repos ainsi que ses permanents changements d’identités exercèrent une grande fascination sur l’avant-garde. Elle interpréta l’aspect violent et criminel de Fantômas comme une rébellion contre les structures sociales existantes, rigides et dépassées. Antihéros par excellence, Fantômas personnifia la menace sombre du fascisme émergeant en même temps que la promesse d’une liberté artistique et d’une vie indépendante.
De la légendaire mise-en-scène de la pièce sonore produite par Radio France – composée d’un ensemble de 100 personnes dont Antonin Artaud dans le rôle de Fantômas – il ne reste aucune trace ; la partition de la Complainte a également disparu. La pièce KURT WEILL CHASSE FANTÔMAS imagine dans ce contexte la rencontre, lourde de conséquences, entre le compositeur et le malfrat. Elle pose la question, d’une manière subversive et ambigüe, de la transformation de Kurt Weill du « sérieux » au « divertissement ». Est-il possible que ce changement ait été orchestré par de sinistres forces… ? Fantômas, l’insaisissable maître de la fuite, surgit comme l’alter ego du compositeur, pourchassé et apatride. Entre réalité et fiction, le texte d’accompagnement propose une fantastique hypothèse et est signé de la plume du duo-pop franco-allemand Stereo Total (Françoise Cactus & Brezel Göring).
Et au milieu de tout cela rôde l’insaisissable Fantômas... Hahaha !
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